Point de vue sur la religion du maçon.

Dans cette étude, nous aborderons principalement les rapports philosophiques entre les religions théistes et le rite de Memphis-Misraïm au premier degré tel qu’il est pratiqué au sein de notre obédience. Les difficultés historiques de cohabitation entre l’église catholique et la maçonnerie ne seront pas évoquées.

Bien des points rapprochent religion et franc-maçonnerie. Dans nos loges, nous travaillons à la gloire du Grand Architecte de l’Univers (GADLU), parfois appelé « sublime » ou encore « suprême » architecte des mondes. Par ce vocable, nos rites affirment l’existence de ce principe et son influence dans la création et dans le fonctionnement de l’univers cela dans le respect de l’héritage de la franc-maçonnerie traditionnelle. De plus, notre franc-maçonnerie, dans son effort de mettre l’homme en rapport avec le sacré, partage de nombreux thèmes de réflexion avec la pensée religieuse : éthique, place de l’homme dans la nature, spiritualité, influence de la pensée gréco-romaine et bien d’autres encore… Cela fait-il, pour autant, de notre franc-maçonnerie une religion « comme les autres » ?

Nous sommes tentés de répondre non, car la franc-maçonnerie se définit comme initiatique et philanthropique et ne se présente jamais comme une religion au sens habituel de ce mot. Pourtant, notre rite parle de « la religion du maçon » de quoi s’agit-il ?

Pour tenter de répondre à cette question, il convient de rappeler les grandes attitudes de l’homme face aux croyances théologiques, d’examiner les différents courants de la maçonnerie, avant d’aborder les différences essentielles entre la démarche initiatique de notre ordre et l’approche religieuse.

I/ Qu’est ce qu’une religion ? La relation directe au divin est-elle possible ? L’homme peut-il concevoir dieu ? Le dogme est-il compatible avec la liberté ? Autant de questions dont les réponses ont modelé les principaux courants de la franc-maçonnerie

Religion : « Le terme religion désigne actuellement un ensemble de rites, de dogmes généralement théistes et souvent en rapport avec une notion de réalité transcendante, de règles (éthiques ou pratiques) ou de dogmes adoptés comme conviction profonde par un ensemble de personnes ». Les religions marquent profondément les cultures, les civilisations, les pensées des hommes.

Théisme : « (du grec Theos, dieu) est une croyance ou une doctrine qui affirme l’existence d’un Dieu (ou de dieux, ou une force créatrice) et son influence dans l’univers, tant dans sa création que dans son fonctionnement. Selon le théisme la relation de l’homme avec Dieu passe par des intermédiaires » Chez certains chrétiens la foi se définit, non par l’adhésion à un système de pensées, mais par la rencontre avec la personne du Christ… Aucune religion théiste ne prétend émaner de l’homme seul, une intervention extérieure est nécessaire pour transmettre et définir la religion en question. C’est en ce sens que l’on parle de vérité révélée.

Déisme : « du latin deus (dieu) est une croyance ou une doctrine qui affirme l’existence d’un Dieu et son influence dans l’univers, tant dans la création que dans le fonctionnement de ce dernier. Pour la pensée déiste, certaines caractéristiques de Dieu peuvent être comprises par les facultés intellectuelles de l’homme. La relation de l’homme avec Dieu est directe (notamment par la prière spontanée ou la réflexion). Le Déisme prône une « religion naturelle » qui se vit par l’expérience individuelle et qui ne repose pas sur une tradition particulière ». Le déisme n’est donc pas une religion au sens habituelle de ce mot qui implique des cultes et des dogmes structurés.

Différences entre théisme et déisme : pour le théiste la relation à dieu passe par des intermédiaires, pour le déiste cette relation est directe. Pour Kant, le théiste s’efforce de suivre « la volonté de Dieu », alors que le déiste estime que rien n’échappe à « la volonté de Dieu », puisque rien ne peut déroger aux lois divines de la création.

L’athéisme : il existe plusieurs catégories d’athées. Comme les théistes ils se positionnent par rapport à la croyance théologique mais de manière négative. Ils y a ceux qui ne croient pas en dieu, ceux qui croient que dieu n’existe pas, ceux qui refuse une certaine idée de Dieu…

L’agnosticisme : assure que la vérité théologique est inconnaissable. C’est une pensée fondée sur le doute, le « je ne sais pas ». L’agnostique refuse la croyance, il se place sur le terrain du savoir et de la logique, il pense que les preuves analytiques de l’existence de dieu comme de sa non-existence sont des leurres. La vérité absolue est, pour les agnostiques totalement incertaine.

Toutes ces grandes manières d’aborder l’existence de Dieu ont façonné le paysage maçonnique Français. Ce dernier se révèle complexe et les profanes attirés par nos systèmes sont, avec raison, perplexes et dubitatifs. Quelles sont les tendances « lourdes » de nos systèmes initiatiques ? En voici une description « très schématique » et bien approximative. Je précise qu’aucune de ces tendances n’est meilleure qu’une autre. Il s’agit, avant tout, d’opinions qui traduisent des valeurs et des conceptions différentes. Chaque rite, chaque obédience a sa philosophie et sa cohérence interne que nous respectons.

La tendance « chrétienne » :

Historiquement, la maçonnerie s’est structurée dans un contexte très chrétien, la plupart des études historiques convergent sur ce point. Cette tendance perdure car des rites maçonniques exigent actuellement une appartenance à la chrétienté « classique » : église catholique, protestantes, orthodoxes… En France le « Rite Ecossais rectifié » s’inscrit dans cette mouvance. Cette maçonnerie souligne le lien étroit entre christianisme et maçonnerie, elle vise à contribuer avec ses moyens et ses méthodes à renforcer l’édifice chrétien. La notion d’initiation maçonnique est parfois très allégée, c’est le baptême chrétien qui en tient lieu.

La gnose chrétienne :

Certaines obédiences s’orientent vers un théisme ésotérique chrétien ou théurgique voire magique : martinisme, église gnostique, Golden Dawn… En général cette approche est discrète, elle n’apparaît ni dans les constitutions ni dans les règlements généraux, elle est le fait d’une impulsion donnée par un groupe d’influence. Les frères et les sœurs, qui restent évidemment libres, sont sollicités de manière personnelle ou par le biais de cercles dits magistraux ou intérieurs. La maçonnerie est vue comme une école préparatoire à une autre voie collective réputée être plus profonde ou plus efficace ou encore qui est présentée comme étant le prolongement naturel d’un cursus maçonnique.

La tendance « d’orientation anglo-saxonne » :

En Angleterre, comme en France la maçonnerie a été largement déchristianisée. L’objectif était de réduire les références chrétiennes pour ouvrir les loges à des juifs. Cette maçonnerie vise principalement l’éducation morale et civique de ses adeptes elle génère une action caritative souvent intense. La croyance en un Grand Architecte de l’univers est un préalable à la réception en loge. Cette maçonnerie se dit régulière.

La tendance « humaniste » :

En France la déchristianisation s’est radicalisée pour aboutir en 1877 à l’abandon de toute exigence et référence religieuse. Progressivement s’est donc créée une maçonnerie agnostique qui travaille à la formation morale et sociale de ses membres et à la construction d’une citée idéale. Les athées comme les agnostiques y sont acceptés sans problème. Le Grand Orient de France s’inscrit dans cette approche..

Une tendance « à la fois libérale et symbolique » :

Cette maçonnerie tente de concilier la recherche du progrès et la tradition. En France elle est représentée par la Grande Loge de France et la Grande Loge féminine de France

La tendance « initiatique et universaliste » (voie où se situe notre obédience) :

L’initiation est antérieure à la chrétienté. La déchristianisation de la maçonnerie ne constitue pas un but en soi, il s’agit,avant tout, d’un effort pour retrouver les sources antiques et l’universalité de l’ordre. Notre obédience estime que l’éveil spirituel débute par une influence extérieure donnée par l’initiation et la participation aux rites. Cela constitue progressivement une force qui autorise un long travail intérieur et individuel fondé sur la concentration, l’attention ou tout autre moyen permettant la focalisation des forces de l’esprit.

Chaque membre est libre, à titre personnel, de faire partie de telle ou telle religion, telle ou telle organisation, non sectaire, dans la mesure où cela ne perturbe pas les travaux maçonniques. La laïcité se concilie avec la spiritualité car le prosélytisme dogmatiques n’existe pas. La liberté reste la première et dernière porte. Notre ordre se situe donc résolument dans une tradition garibaldienne internationale. C’est la tradition primitive de l’ordre.

Il faut signaler que le rite de Memphis-Misraïm est aussi pratiqué par des maçons du grand orient de France qui ont adopté son cadre philosophique (influence de John Yarker) et aussi dans des obédiences diverses qui se centrent sur les dogmes de la gnose chrétienne (influence de PAPUS,) Nous respectons ces orientations mais elles ne sont pas les nôtres.

La suite du travail explicite le point de vue de notre ordre maçonnique.

II/ les différences essentielles entre démarche initiatique et religieuse.

Le dogme

Le théiste admet le plus souvent un système dogmatique complexe. Ce qui contraste avec le préalable demandé au profane frappant à la porte de notre temple : il lui suffit, au minimum, d’être spiritualiste, c’est à dire de ne pas rejeter la possibilité d’une « continuation » post-mortem de l’individu et aussi d’être « déiste » dans un sens bien particulier de ce mot.

Le déisme de Memphis-Misraïm n’est pas le déisme du dictionnaire. Pour nous, un déiste est simplement un homme tolérant qui croit en l’existence d’un Principe en prenant une certaine « distance » à l’égard des croyances religieuses prônées par son éventuelle religion d’appartenance. Le spectre des membres de notre organisation initiatique va donc du théiste qui est conscient que ses croyances traduisent ses opinions et non la vérité ultime, à ceux qui pensent que la relation de l’homme avec Dieu est directe et qui se passent de toutes formes de dogmes et d’intermédiaires. Ainsi, il peut exister dans nos loges, à côté des déistes « purs » au sens que le dictionnaire donne à ce mot, des chrétiens, des musulmans, des bouddhistes, des juifs…

Le maçon théiste, sous peine de ne pas être vraiment un maçon effectif, admet le relativisme : une vérité exprimable s’inscrit forcément dans une culture, une langue, une époque… Un théiste dogmatique, trop rigide dans sa croyance, n’a rien à faire, selon mon opinion, à Memphis-Misraïm. Notre idéal maçonnique a quelque chose de l’Angleterre vue par Voltaire : « S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses. » La diversité des croyances et des sensibilités et gage d’harmonie entre nos membres. Nous poussons même cette logique un peu plus loin : un athée peut aussi nous rejoindre si son attitude vise à rejeter qu’une conception particulière de dieu et de la religion. Ceci est à rapprocher de la pensée de Simone Weil : « Il y a deux athéismes dont l’un est une purification de la notion de dieu… »

Ainsi, notre « système dogmatique » se caractérise par son extrême légèreté et sa grande souplesse. Pourquoi ? Fondamentalement le maçon se veut libre, il estime qu’un dogme trop pesant est un obstacle à la recherche de la liberté. La liberté du maçon est certainement une des raisons qui a opposé radicalement la maçonnerie à l’église catholique.

Le nom de dieu

La pensée théiste admet, généralement, un dieu personnel qui porte un nom : JEHOVA, ALLAH, BRAHMAN … En maçonnerie, tous les noms de dieu que le maçon peut trouver et énoncer dans sa déambulation au sein des « hauts grades », ne sont que des noms substitués. Dans ce cheminement, les maçons ne doivent jamais oublier que le principe se définit non par son nom, mais par sa fonction : « le grand architecte de l’univers ». Au cours de cette déambulation le maçon observe et médite devant certaines « niches philosophiques et religieuses » sans jamais avoir l’obligation d’adhérer à tel concept, croyance, ou praxis.

La représentation du divin

Il y a souvent chez les théistes l’idée d’une représentation anthropomorphique de la divinité qui fonctionne psychologiquement comme un homme, parfois dieu connaît la colère, la vengeance, le désir. L’homme se construit un dieu qui lui ressemble. Comme disait déjà Montesquieu : « si les triangles avaient un dieu, ils lui donneraient trois côtés » Le GADLU n’est pas anthropomorphe, son approche est avant tout symbolique

Beaucoup de symboles parlent du principe mais notre figuration du divin probablement la plus ancienne car la plus indissociable de la structure du rite se fonde sur la lumière. En effet, l’ouverture des travaux consiste pour l’essentiel à répandre une lumière qui est présente dans le temple avant l’arrivée des maçons et dont l’éclat continue à se manifester après leur départ. Ce symbole se retrouve dans la racine étymologique du mot dieu qui vient du latin deus, lui même issu de la racine indo-européenne « dei wo », lumière du ciel, du jour, de la base « dei- », luire, briller. La lumière illuminatrice, révélatrice d’un monde spirituel, serait-elle un archétype, un symbole commun à tous les hommes ?

Le livre sacré

Dans notre rite le maçon doit être un homme religieux sans pour autant forcément adhérer à une religion constituée. Sur le naos la bible a été remplacée par la règle. C’est le convent du 21 juin 1969 qui a précisé que les ateliers demeurent libres de conserver ou de supprimer ce livre. Sur l’autel des serments peut figurer un livre sacré qui varie selon la confession de l’impétrant. Beaucoup de loges maçonniques de notre ordre adoptent le livre des morts des anciens Egyptiens. Ce livre a l’avantage de ne pas être sacré, il est donc, paradoxalement, un excellent symbole d’un livre sacré. Pour certains il représente la Bible, pour d’autres le Coran pour d’autres encore la Règle morale inscrite au plus profond du cœur de chacun.

Le principe est-il « dans » ou « au-delà » de la matière ?

L’idée de transcendance divine est communément admise par les théistes : dieu se trouve en dehors et au-delà du monde, il est « au ciel ». De plus, il apparaissait, dans un passé pas si lointain que cela, comme un père rigoureux, rémunérateur et vengeur. Un tel dieu était il une nécessité pour les Etats ? « pour les princes régnant, disait Schopenhauer, le dieu tout puissant est le père Fouettard dont ils usent pour envoyer les grands enfants au lit lorsque plus rien d’autre ne peut les aider ; c’est pourquoi ils tiennent tellement à lui » Contrastant avec cette conception, le « dieu intérieur » est souvent perçu comme plus chaleureux, plus proche, plein d’amour. Cela signifie que notre lien au divin nous constitue de manière interne. Notre rite égyptien met l’accent sur l’immanence, il affirme cela très clairement : « c’est par sa conscience que l’homme est relié au divin »

Si dieu est en nous, comment avoir conscience de sa présence, de la Présence ? La relation immanente est généralement obscurcie, comme brouillée par notre « moi », ce qui rend nécessaire une « actualisation » par un long travail sur l’ ego qui obscurcit notre vraie nature. Le mal, en maçonnerie, n’est pas Satan, c’est avant tout l’EGO qui aliène l’individu, le coupant de l’autre, l’empêchant de se sentir un enfant de l’univers. C’est pourquoi le maçon « travaille sa pierre » car une des « croyances utiles » du maçon s’énonce ainsi : « l’homme est perfectible ».

Assouplir son ego peut permettre de se relier à son maître intérieur. La toute première étape de cette relation peut-être le moment ou l’individu commence à recevoir des messages de son « soi ». Cela peut arriver sous la forme de rêve, où un ancêtre, où encore une femme ou un homme d’apparence sage viendra lui parler, le conseiller. Cette première relation peut aussi prendre la forme de messages, de signes offerts par la vie qui nous laissent un sentiment troublant et indéfinissable.

Jung qualifiait ces événements par le mot synchronicité. La coïncidence se charge de sens, elle est signifiante, le psychisme de la personne s’implique fortement quand il y a conscience que la probabilité d’un tel événement est faible. Nous nous sentons alors comme guidé par l’univers, avec la certitude qu’un choix important se présente à nous. Jung définit la synchronicité en ces termes : « coïncidence temporelle sans lien causal entre un état psychique donné et un ou plusieurs événements extérieurs objectifs offrant un parallélisme de sens avec cet état subjectif du moment ».

Arriver à la conscience permanente du spirituel en nous consiste à ouvrir une importante arcane. Arcane vient du latin arca, qui signifie « arche » , « coffre », il s’agit donc d’un contenant. Certains maçons recherchent une « dernière arcane » un peu partout, selon notre opinion, cette ultime porte n’appartient à aucune société secrète, à aucun rituel mystérieux, cette arcane est tout simplement le maçon lui-même. Ouvrir cette arche consiste à se maintenir dans l’Essence.

Notre système initiatique se fonde donc sur l’immanence, malgré cela, le vénérable maître invoque le grand architecte comme étant un être extérieur. Ce qui signifie que l’immanence maçonnique n’exclut pas la transcendance : le principe est dans la matière et en même temps au-delà de cette dernière. Pour l’essentiel la prière (invocation) de l’initié vise à obtenir l’énergie nécessaire pour progresser sur le chemin de son centre. Cette invocation peut-être individuelle, (le maçon) collective au sein de la loge (le vénérable maître) ou au sein de l’ordre (le grand hiérophante). Ce mystérieux apport permet de soutenir et d’aider le maçon sur la route de la réalisation.

Prédestination et liberté humaine

Les différentes religions d’occident admettent, avec des nuances, la prédestination qui se définit comme un concept théologique selon lequel Dieu, aurait choisi de toute éternité, et secrètement, ceux qui auront droit à la vie éternelle, sans qu’eux-mêmes ne puissent le savoir.
Pour les protestants, et notamment Calvin, le salut revient à ceux que Dieu a élus par sa seule bonté et miséricorde, sans considération de leurs oeuvres,
Pour les catholiques la prédestination, a été étudiée par différents conciles, notamment le concile de Quierzy (Carisiacum) de 853. Pour cette religion dieu
« … élut gratuitement dans sa prescience ceux qu’il a prédestinés à la vie éternelle. … » Ceux qui ne sont pas élus subissent une peine éternelle.
Pour l’islam, tout ce qui se passe dans l’Univers a déjà été déterminé depuis l’Eternité par Allah, article de la foi connu sous l’appellation courante le « Imân bil Maktoûb » ou plus simplement le maktoûb, « c’est écrit »
Les principaux courants de la gnose chrétienne adhèrent également au dogme de la prédestination.

Nous sentons bien qu’il y a trois difficultés :

– la prédestination exclut le libre arbitre,
– comment dieu peut-il juger les hommes si tout est écrit ?
– Pourquoi les hommes feraient des efforts si tout est « maktoûb » ?

Comment les maçons abordent ils le rapport entre le destin et la liberté ?

Le maçon se veut libre. Il faut d’ailleurs être un homme « libre et de bonnes mœurs » pour être initié. Une devise de notre maçonnerie s’exprime par le triptyque « liberté, égalité, fraternité » Le maçon n’est pas un élu il est construit, créé, reçu.

Mais à côté de cela rien ne saurait s’opposer à la volonté du GADLU. Même le mal fait partie du plan divin. Il faut admettre que ces deux propositions contradictoires peuvent être vraies simultanément un, peu comme en physique moderne la lumière peut-être, à la fois corpusculaire et ondulatoire. Nous devons admettre humblement que la raison humaine à ses limites. Mais évidemment l’opinion reste possible notamment en se laissant porter par la vérité du mythe.

Selon Socrate, la fonction du mythe est d’expliquer par analogie lorsque la raison s’avère insuffisante. Un des mythes qui traite le mieux du rapport entre la liberté humaine et le destin ou la prédestination est le mythe d’Er cité par Platon. Ce mythe est intéressant car il complète l’initiation au premier degré où l’adepte réalisé a le privilège de rencontrer la lumière. Platon raconte la voie du plus grand nombre, celle des hommes encore alourdis des passions et des préjugés de la vie, celle aussi des initiés en devenir.

Er, pris pour mort par méprise revint des enfers et raconta comment les âmes choisissent leur future vie. Les âmes sont menées dans une grande prairie et on leur jette des sacs des destinées. Elles choisissent-elles même un des sacs selon leurs désirs. Ceux qui ont désiré les biens matériels, choisissent une destinée d’hommes riches. Les ambitieux cherchent une destinée de roi. Ceux en recherche de satisfactions sexuelles cherchent des vies de plaisirs. Au final, chacun va boire l’eau du fleuve Léthé, de l’oubli, et s’en retourne, alourdi d’ un nouveau destin sur l’épaule, pour le vivre sur la terre. Il y a donc un lien que nous qualifierions de « karmique » entre deux vies successives.

Le mythe souligne que l’homme est responsable de son avenir car le scénario est déterminé que dans les grandes lignes et il appartient à l’homme de faire des efforts pour toujours se recentrer dans la voie de la vertu. Un personnage du mythe appelé le « hiérophante » le déclare très explicitement : « La vertu n’a point de maître. Chacun en aura plus ou moins selon qu’il l’honorera ou la négligera ». La vertu se situe au-dessus des hommes et des dieux comme en maçonnerie où la règle se place toujours sur le compas et l’équerre. A chaque vie, l’être hérite d’une partie d’échec déjà commencée, à chacun de gérer au mieux sa situation plus ou moins favorable, selon ses efforts dans sa vie passée !

Le mythe le précise clairement « si chaque fois qu’un homme naît à la vie terrestre il s’appliquait sainement à la philosophie , et que le sort ne l’appelât point à choisir parmi les derniers, il semble, d’après ce qu’on rapporte de l’au-delà, que non seulement il serait heureux ici-bas, mais que son voyage de ce monde en l’autre et son retour se feraient, non par l’âpre sentier souterrain, mais par la voie unie du ciel. » La voie unie du ciel est décrite dans l’initiation.

Ce mythe explicite bien la conception antique de l’initiation :

Premièrement, l’homme n’est pas prédestiné par un dieu comptable des destinées humaines. Il est responsable, par sa conduite, de son avenir post-mortem et de sa future vie.

Deuxièmement une vie de justesse, « Dike » en grec, est une vie en accord avec la loi cosmique (la règle des maçons), Sur le fronton du temple de Delphes deux devises étaient écrites : « connais toi toi-même » qui a pour finalité la connaissance de sa juste place dans l’univers et « rien de trop » qui invite à éviter l’orgueil, la démesure, les pièges de l’illusion du moi.

Troisièmement tout ce qui s’oppose (« hybris ») à l’ordre cosmique est un crime contre l’ordre cosmique idéal. L’orgueil, l’ambition démesurée, l’ego empêche la vie de justice.
Selon ce mythe, par une vie de justice, l’initié continue l’œuvre du Principe et s’élève, du fait de la loi karmique, d’existence en existence, jusqu’à la source d’amour et de joie.

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A la lumière de tout ce qui vient d’être abordé nous pouvons tenter de répondre à la question fondamentale : La franc-maçonnerie, est-elle une nouvelle religion ?

La franc-maçonnerie n’est ni un culte ni une église, elle a pour vocation de relier l’homme à son essence, aux autres, à l’univers. C’est pourtant une religion au sens étymologique de ce mot : le vocable « religion » vient du latin « religio », qui signifie : « scrupule, conscience, engagement, obligation », à rapprocher très exactement de la définition de la religion du maçon selon notre rite : « intégrité, devoir, conscience ». La religion du maçon se pose comme une religion primordiale et universelle car intrinsèquement liée à la conscience humaine vue comme un point de rencontre avec le divin.

L’homme est un être relatif relié à l’absolu. Un être fini enfermé dans le temps lié pourtant avec l’infini et l’intemporalité. L’initiation propose d’expérimenter ce lien progressivement. Le dernier degré est tenu aujourd’hui pour légende, il s’agit de la « trans-formation de l’être », le passage « au-delà de la forme », au-delà de l’individualité humaine.