Point de vue sur la GRANDE HIEROPHANIE

Au croisement du haut et du bas, de l’orient et de l’occident

Dans le passé, les grandes constitutions et règlements généraux adoptés lors des convents internationaux de 1936 (Bruxelles), 1930 (Lyon), 1890 (Paris) précisent tous que « le 99ième degré, suprême dignité du rite, est réservé au Grand Hiérophante Mondial. Dans les convents plus récents cette affirmation ne s’est jamais démentie. Actuellement certains maçons travaillant à notre rite doutent de la réalité de ce degré, pourquoi ?

Le passé grand maître Robert Ambelain avait défini un corpus initiatique dont la transmission exhaustive accompagnait la désignation du nouveau Grand Hiérophante. Or, ce corpus a été transmis partiellement à son successeur (ce qui est parfaitement exact : signalé dans un balustre du20 septembre 1990 de robert Ambelain à l’attention de G. K. suite à un désaccord entre les deux hommes : « …Tu ne le (Grand hiérophante) seras pleinement que lorsque je t’aurais remis les deux autres arcanes , car il y en a 3 en réalité, qui doivent s’ajouter à celui que j’ai t’ai confié lors de ton investiture… » ) Par la suite, les transmissions successives auraient affaibli (selon ses détracteurs) toujours un peu plus, le dépôt initiatique rattaché au 99ième degré. Et certains de conclure que R. AMBELAIN aura été le dernier grand hiérophante de l’ordre. Pour d’autres le corpus rituéliques précité aurait été inventé ex-nihilo par les maçons Malinger et Rombaut ce qui retirerait toute crédibilité à cet état initiatique. Je ne partage pas ces opinions.

En effet, nous entrons dans l’approche de la Grande Hiérophanie dans un domaine qui dépasse la dimension humaine. Notre Rituel dit  » que ceux qui ont des oreilles entendent, que leurs yeux voient ….. et que leurs AMES COMPRENNENT « c’est à dire que leurs AMES prennent avec ». C’est essentiellement au niveau des AMES que la Grande Hiérophanie se communique. Et il y a eu de longues réflexions avant que cet article soit publié car les mots ont leurs limites ! Nous sommes loin de la transmission imaginée par nombre de nos propres frères du rite, c’est à la fois très simple et incompréhensible à notre état d’humain englué dans la pensée analytique et matérielle qui compte et quantifie. Pour connaître, au sens noble de ce mot, les âmes doivent vibrer en sympathie…

Sur la confusion entre l’écorce et l’amande

Si la grande hiérophanie résultait simplement de transmission de « pouvoirs psychiques » ou si elle était exclusivement d’essence cérémonielle ces maçons (ceux qui doutent) auraient « peut-être » (1) raison en disant que le 99ième degré serait perdu.

Ce n’est pas le cas, en effet, un grand hiérophante qui justifierait son état de développement spirituel, qui au final tend vers le centre de l’individualité humaine, uniquement par une simple transmission plus ou moins complète d’éléments initiatiques dont l’origine formelle historique est réellement incertaine (le fond traditionnel, lui, échappant de toute façon à « l’histoire »)se nierait en se posant comme vrai.

Car si à certains niveaux intermédiaires on ne peut transmettre que ce que l’on a reçu, à un autre niveau plus élevé on ne peut transmettre que ce que l’on EST (ou qu’en fonction de son ouverture spirituelle réelle).

Il faut donc, à mon sens, arrêter de fantasmer sur la transmission de la grande hiérophanie dont la fonction essentielle est de « relier le ciel et la terre » et permettre une communication descendante et ascendante . Si un agrégat de transmissions cérémonielles suffisait à l’obtention de cet état central, au sens que la tradition donne à ce mot, cela se saurait ! Que de travail économisé ! Les yogis arrêteraient leurs concentrations épuisantes, les derviches stopperaient leurs danses sacrées et les méditants ne méditeraient plus ! Tous viendraient frapper à la porte de notre ordre pour quémander cette transmission !

Il ne s’agit pas, évidemment, de nier l’importance des rites traditionnels qui sont comme autant de « véhicules » qui permettent de faciliter le voyage intérieur, d’obtenir la connaissance préalable indispensable, de participer à l’harmonisation de l’individu, de faciliter l’apprentissage de l’attention, de la concentration…. Mais les rites ont de moins en moins d’importance au fur et à mesure que l’initié approche de son but. Il arrive un moment où, pour un individu particulier, ils ont rempli leur rôle, l’initié est alors proche de l’adeptat mineur.

Je vous engage donc à bien distinguer l’écorce (l’apparence) de l’amande (l’expérience spirituelle) dans un domaine où les avis sont partagés.

Une confusion entre des aspects religieux et initiatiques peut expliquer ces divergences.

Certains comparent, par exemple, l’état décrit dans le rite « comme le point central » avec l’ordination sacerdotale, qui se confère rituellement, et permet la communication avec le niveau céleste en vue de faire descendre une grâce.

Mais l’initiation, au sens profond de ce mot, n’est pas une simple communication avec le céleste elle vise à dépasser l’état humain, à remonter le fil, à permettre le passage vers des états élevés, de plus en plus inconditionnés.

Dans cette perspective, le « point central » , n’est pas la fin du chemin mais le début d’une autre étape : élévation sur l’axe vertical. Un religieux ayant reçu l’ordination sacerdotale peut-être qualifié pour exercer sa fonction sans toutefois être qualifié pour recevoir l’initiation. Il faut bien distinguer l’ordination sacerdotale (religion) de l’initiation sacerdotale.

Il me semble que bien des querelles et des chamailleries pourraient s’apaiser d’elles-mêmes si chacun faisait l’effort de séparer clairement l’exotérisme religieux de l’initiation. Ce qui n’est pas simple, il faut en convenir, du fait de la richesse des apports exotériques, religieux et ésotériques constituant notre ordre.

En réalité, l’essence de la grande hiérophanie est un « état d’être » et plus précisément « un état de l’être » . Cet état, n’est ni spécifique à l’initiation reçue à Memphis-Misraïm, ni même à la maçonnerie en général. Il s’agit d’une étape classique de l’initiation universelle de tous les temps et de toutes les époques dans la mesure où sa réalité est véritablement « hors du temps » En effet aucun degré ne saurait être supérieur à l’adeptat mineur et encore moins à l’adeptat majeur.

Sur la notion de pontife

Le grand hiérophante idéal est un « pontife » du latin pontifex, étymologiquement « celui qui fait le pont (entre les dieux et les hommes) ». Cet état de conscience ne résulte pas de la transmission de mystérieux pouvoirs psychiques, il est tout simplement le fruit d’une grande simplification intérieure.

Cela est magnifiquement traduit dans l’évangile selon Matthieu Chapitre 18 : « Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. C’est pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux. »

Cet humilité, cette simplicité, ce retour à l’enfance, n’est pas propre à l’enseignement de Jésus. Avec d’autres mots, cet « état d’être » est décrit dans de multiples traditions. Dans l’antiquité, il se confondait avec la fin des petits mystères, dans la mystique musulmane il prend le nom d’El-insânul-qadîm « l’homme primordial », c’est aussi Tchenn-jen « l’homme véritable » du taoïsme.

Comment reconnaître ceux qui sont proches de leur centre ? L’équanimité est la première qualité à atteindre et certainement la plus évidente à discerner chez les initiés effectifs. Cette qualité est une disposition de détachement et de sérénité. Elle résulte d’une pratique spirituelle vraie. Elle permet l’acceptation de soi-même et des circonstances externes, une confiance inébranlable dans ces choix de vie, une volonté remarquable.

En l’absence d’altérations fonctionnelles du cerveau toujours possibles, un initié arrivé à ce stade n’abandonne pas, ne se décourage jamais quelque soit les contraintes, obstacles, attaques dont il peut être l’objet. Comme dit R. Guénon citant les textes taoïstes : « le sage reste tranquille au centre de la roue cosmique, quelles que puissent être les circonstances et que même l’effondrement de l’univers ne lui causerait aucune émotion » Un initié qui n’aurait fait fleurir en lui-même l’équanimité ne peut pas être un instructeur spirituel. L’équanimité permet ensuite l’éclosion de la compassion, de l’amour, de la joie. Un être « en approche du centre » se reconnaît aux qualités précitées, il avance sereinement, décide sûrement, il est stable.

Sans atteindre forcément l’idéal de pontife quelques maçons ont fait un bout de chemin vers le centre. Il ne s’agit pas obligatoirement de détenteurs de « hauts grades » car la propédeutique de la maçonnerie symbolique suffit, pour qui comprend bien la notion d’opérativité, pour rendre effectif ce qui n’était que virtuel. Entre ces frères se créent des liens non matériels qui renforcent et animent l’égrégore de l’organisation initiatique. Le grand hiérophante doit être choisi parmi eux, sinon le risque est grand de voir « le poisson pourrir par la tête » suivant l’adage taoïste. Ce qui est déjà arrivé dans le passé au sein de notre ordre dans les circonstances que nous connaissons tous, après le départ de R. Ambelain.

Sur l’unicité de l’ésotérisme et le respect de la forme des voies

La filiation officielle se traduit nécessairement par des documents attestant la passation de l’autorité spirituelle (il est impossible de s’autodéclarer 99ième !). Cependant aucun document n’a jamais traduit le niveau spirituel d’un être. Les éventuelles transmissions cérémonielles ou psychiques ne sont pas non plus une garantie. A ce stade de la réflexion, il faut se souvenir qu’il n’existe aucune contradiction entre les vraies traditions : elles sont toutes des expressions diverses d’une vérité unique. Encore une fois, toutes les voies initiatiques véritables conduisent au même état d’être, que les maçons appellent « la chambre du milieu ».

Les contradictions que certains croient discerner ne sont que superficielles et souvent traduisent l’incompréhension de telle ou telle partie d’une doctrine qui s’est « contextualisée » mais dont le cœur demeure inchangé. Ainsi un yogi, un soufi, un bouddhiste malgré leur chemin différent peuvent vivre un même éveil.

Rappelons à ce propos que notre précédent grand maître mondial immédiat C.S., outre son engagement maçonnique, est chef spirituel d’une confrérie de soufis. Sa nomination au degré de Grand Hiérophante fut un événement d’une portée immense qui passa inaperçu au regard de la plupart des observateurs. A l’époque, la grande hiérophanie avait perdu de son prestige. L’ordre vivait une dissidence importante qui ouvrit la porte à d’autres départs notamment vers le Grand Orient de France. En France les grandes obédiences n’avaient plus aucune considération pour notre ordre.

Pourtant c’était, à ma connaissance, la première fois depuis le 18 mars 1314 date à laquelle Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay furent livrés aux flammes que la mission très ésotérique de l’ordre des templiers, faire un lien entre les ordres initiatiques d’orient et d’occident, a trouvé un début de restauration. Depuis, et c’est une vérité, le pur baiser mystique fleurit en notre ordre assurant la transmission effective d’une Bénédiction principielle qui nous aide et nous soutient sur le chemin de la réalisation C’est en ce sens que la grande hiérophanie unit orient et occident…. Mais revenons à la notion d’éveil.

Dans certains cas, après un travail acharné effectué durant des années le fruit est mûr, pourtant le voile ne se déchire pas. Alors une aide externe d’un être plus éveillé (quelque soit son chemin) s’avère nécessaire. Il ne s’agit pas vraiment, pour être rigoureux, d’une transmission mais d ‘une mise en condition pour que la fleur de l’éveil commence à éclore.

Il faut cependant être vigilant, si toutes les voies convergent cela ne veut pas dire qu’il faut tout mélanger ! Un maître spirituel doit enseigner dans une voie spirituelle donnée en respectant ses formes et ses règles. Si ce n’est pas le cas, c’est que, quelque part, il souhaite entraîner ceux qui le suivent vers une autre voie, ou il se leurre, ou il est lui-même manipulé. La maçonnerie se suffit à elle même, elle n’est l’antichambre d’aucune autre société « plus secrète ».

Pour conclure…

Un conseil : observez bien ceux qui se prétendent investis de fabuleuses transmissions, observez aussi leurs compagnons proches. Sont-ils humbles ? Sont-ils sur la voie de l’éveil ? Agissent-ils dans le désintéressement ? Ne confondent-ils pas initiation cérémonielle et initiation effective ? Religion et initiation ? Leurs actes passés et présents traduisent-ils leur équanimité ? Puis mettez en pratique cette devise (2) « L’arbre se reconnaît à son fruit »

Le 99 ième grade se fonde principalement sur l’effectivité initiatique . Le Grand Hiérophante n’est pas un saint, ce n’est pas forcément un grand sage, quelqu’un de parfait, mais c’est un maître efficient, parmi d’autres, qui approche de son centre et montre comment, par sa grande vigilance, sa modestie, sa méditation, sa prière, les bénédictions dont il est un des dépositaires, il est possible de transférer sur le plan horizontal ce que l’on a reçu sur le plan vertical.

En outre, sa plus belle légitimité résulte de son devoir de servir sans relâche et sans esprit de profit, l’organisation initiatique qu’il anime spirituellement. Que la transcendance puisse inspirer les détenteurs de cette haute mission dans le choix de leurs successeurs !

(1) « peut-être’ car il est évidemment possible et probable que R. Ambelain ait transmis la totalité des éléments traditionnels dont il disposait à un autre personnage, plus discret, que G.K.

(2)origine évangile de Matthieu, paragraphe « sur les faux prophètes » CHAP. XII, 33, JUSQU’AU VERSET 38